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vendredi 26 août 2011

Ce n'est pas l'euro qui est coupable.

Je vais encore écrire des lignes un peu trop techniques. Dès qu'on veut parler économie, on n'échappe pas à ce travers. Et pourtant, j'aimerais de tout coeur trouver la martingale qui manque à tous les auteurs et tous les éditorialistes sur le sujet ; car parler pour convaincre et en même temps parler un langage que vos auditeurs ne comprennent pas totalement, c'est soit un voeux pieux, soit tout simplement une gageure.

Et pourtant, le sujet est bien trop grave pour ne pas l'aborder, bien trop important pour ne pas au moins tenter de l'expliquer, et cependant bien trop complexe pour éviter qu'au moins une partie de l'auditoire passe à côté, à la fois des données du problème et à la fois, hélas, de la pertinence des solutions que l'on se propose d'évoquer...

D'autant que le sujet est aussi politique, et que la politique est sans aucun doute le sujet le plus difficile à aborder de manière sereine, tant pour celui qui parle que pour celui qui écoute. Par définition, tout discours politique se heurte aux positions déjà prises par l'auditeur ou le lecteur. Par définition encore, tout discours économique est politique : ce n'est pas pour rien que la discipline universitaire se nomme "économie politique". Et par définiton donc, tout discours économique se heurte aux présuppositions politiques de son auditoire.

Il faut donc un certain courage pour se lancer dans un exercice aussi scabreux. Je vais tenter d'avoir ce courage-là, et si possible d'avoir aussi les mots pour convaincre.

L'Europe vient de passer à quelques millimètres du gouffre. Les Etats Unis en sont passés à quelques micromètres. L'euro a failli sombrer et toute la construction européenne avec lui. Le dollar a été sauvé in extremis par un Congrès américain au sein duquel même les opposants les plus acharnés à Barak Obama sont heureusement assez responsables et sérieux pour ne pas déclencher une catastrophe mondiale. Ils ont simplement réussi à lui lancer un signal fort, qu'il n'a malheureusement pas donné l'impression encore de comprendre : un signal destiné à lui dire que sa politique de largesses sociales inconsidérées à l'échelle américaine (en Europe, il y a bien longtemps qu'on n'en est plus à ce stade, mais nous savons à quel prix), que cette politique socialisante est rejetée par l'opinion et qu'il devrait bien en tenir compte avant qu'elle ne se révolte. Heureusement, la mandature suprême, aux USA, n'est que de quatre ans, et il y a de fortes chances pour qu'in fine il perçoive à temps le signal...

Mais mon propos d'aujourd'hui n'est pas la politique intérieure, et encore moins celle des USA. Si j'en ai parlé, c'est uniquement pour faire le parallèle entre deux problèmes somme toute assez différents l'un de l'autre, mais avec un dénominateur commun qui est celui des déficits publics.

Que ce soit en Amérique ou en Europe, les hommes politiques, des deux côtés de l'Atlantique, ont depuis plusieurs décennies choisi la solution de facilité pour financer leurs politiques, qui social-clientélistes qui de prestige et d'expansionnisme. Cette solution consiste à reporter sur leurs successeurs la charge de dépenses pharaoniques que même une fiscalité confiscatoire (bien plus en Europe qu'aux USA toutefois) n'est pas capable de financer. Et pour ce faire, ils ont "laissé filer" leurs déficits budgétaires, au point que le cumul des dettes des états atteint aujourd'hui des sommets qui font craindre à très juste titre qu'elles ne soient jamais honorées.

Quand je dis que les problèmes sont différents d'une rive à l'autre de l'Atlantique, c'est qu'à l'inverse de l'Europe, les Etats Unis sont une fédération constituée, et que les grands choix de la politique économique et financière sont pris à Washington. C'est d'ailleurs l'état fédéral qui expose la dette affolente qui préoccupe tant ses créanciers. La monnaie américaine fait référence à une économie structurée, à l'inverse de la monnaie européenne qui subit les soubresauts de 17 économies aussi différentes qu'incohérentes entre elles. Il suffit qu'un seul état, si petit soit-il, présente des risques d'insolvabilité pour que la monnaie commune aux 17 soit attaquée, et que ce soit toute l'économie de la zone euro qui soit destabilisée. C'est ce que nous vivons depuis 18 mois avec la Grèce, et c'est ce qui a failli faire capoter tout le système. Sachant que le risque n'est pas jugulé, loin de là...

Car les données de fond du problème ne sont toujours pas modifiées. L'euro reste, malgré les tergiversations et les discours, une monnaie techniquement artificielle puisque ne reposant pas sur une économie structurée. La création de l'euro n'a pas été une erreur en soi. Une monnaie forte capable de concurrencer l'hégémonie internationale du dollar était une bonne idée. Et de nature à porter des fruits au bénéfice de l'économie européenne.

Mais en le disant comme cela, je mets le doigt sur le vrai problème de l'euro : l'économie européenne justement. L'économie européenne ... n'existe pas ! L'Union Européenne, ce sont 27 pays indépendants seulement unis par des accords esentiellement commerciaux, et qui plus est 27 pays aux niveaux économiques disparates, surtout depuis le dernier "élargissement". La zone euro, ce sont 17 pays indépendants, et surtout 17 économies sans lien réel entre elles, sans aucune cohésion, sans aucune cohérence. 17 économies dont certaines sont florissantes et certaines autres à l'agonie.

Et tout le mal vient de là : si un seul des 50 états américains connaît des difficultés, le dollar n'en subira pas les conséquences, et les marchés financiers ne s'affoleront pas malgré l'ampleur de la dette fédérale. Car justement, les USA sont une fédération et les 49 autres états sont là, avec les mêmes règles économiques et qui cotisent tous au "pot commun". La dette américaine, ce ne sont pas 50 dettes souveraines mais une seule : celle du Trésor fédéral. L'euro, il fallait le faire, mais il fallait le faire dans un cadre fédéral ou pas du tout.

Car la dette européenne, en revanche, n'existe pas en tant que telle, et les états "pauvres" de la zone euro ne bénéficient pas d'une solidarité automatique de la part des états "riches". Si un état européen a de grosses difficultés, rien n'oblige les autres à venir à la rescousse. Si demain la Grèce fait défaut, rien n'obligera l'Allemagne à mettre la main au gousset.

Or, quand un pays connaît des difficultés financières, sa monnaie est évidemment attaquée. Quoi de plus normal ? Comment avoir confiance dans la monnaie d'un pays en faillite ? La monnaie de la Grèce, c'est l'euro. Pour leur malheur, l'euro est également la monnaie des 16 autres. Et donc, la monnaie des 16 autres est attaquée, puisque c'est la même... Quoi de plus normal encore une fois ?

La solution, c'est bien évidemment que ces 16 autres-là (au moins ceux qui le peuvent) renflouent la Grèce. Pas en lui prêtant bien sûr : ça ne fait que péréniser sa dette, c'est à dire ses difficultés. Mais en payant à sa place ! Et si possible pas avec de la monnaie de singe : il ne suffit pas de faire fonctionner la planche à billets comme la BCE est en train de le faire...

Un tel scénario, tout à fait normal et automatique dans le cadre d'un état fédéral, est tout simplement inconcevable dans le cadre d'un soi-disant marché unique qui n'est qu'un conglomérat d'états aux intérêts divergeants, aux politiques économiques elles aussi divergeantes, et où les états vertueux et par conséquent les plus riches ne tireraient aucun avantage supplémentaire au redressement des économies des "canards boiteux". Ces états-là auraient donc tout naturellement l'impression totalement justifiée de payer pour le laxisme de leurs voisins, ce qu'ils refusent et on les comprend !

La crise de l'euro, qui est loin d'être terminée et qui conduira possiblement à l'explosion de la monnaie unique, met en lumière de manière éclatante que l'Union Européenne n'aurait de sens que politiquement intégrée.

C'est l'idée que j'ai toujours appelée de mes voeux. Et ceux qui ne sont pas d'accord avec cette idée d'une Europe Fédérale doivent aller au bout de leur raisonnement, et en tirer la conclusion qu'alors, c'est l'Union Européenne elle-même qu'il ne fallait pas faire... Et surtout pas l'union monétaire.

Il ne fallait pas non plus intégrer des pays économiquement faibles. Il fallait attendre qu'ils atteignent un niveau comparable aux autres. On a voulu faire une Union uniquement économique sur des critères uniquement politiques. On paie aujourd'hui cette incohérence...

Ce n'est pas l'euro qui est coupable. C'est l'Europe telle qu'on l'a faite.

Dans un prochain billet, j'essaierai de montrer, à titre d'exemple, en quoi le pseudo "plan de rigueur", ou pseudo "plan d'austérité", ou réel "plan poudre aux yeux", que vient de présenter François Fillion, illustre parfaitement en quoi les disparités des politiques menées au sein de la zone euro, sont le moteur de la défiance légitime des millieux financiers à l'égard de la monnaie unique.